Exposition collective
05/10/2016
Taverne Guttenberg, 3 rue de l’Épée, Lyon 07
Contribution de Robin Suiffet
Proxémie du mot « friche »
(Projet Prox, collaboration du laboratoire CLLE/ERSS et Kodex⋅Lab)
La friche : ce qui est inexploité, à l’abandon, en état d’inculture. Buissonnement indistinct. Négligement. Processus de retour à l’état de nature. Des orchidées sur tuteur Grammatophyllum speciosum (plus grande orchidée connue au monde) font place à d’autres fleurs, plus ou moins belles, mais plus naturelles. Certaines sont blanches, encore que : d’une teinte moins pure, leurs reflets dépendent de la lumière du soleil. Couleur crème ? Albâtre ? Blanc de lait ? Blanc neige ? Blanc de saturne ?
Quand l’agriculteur (ou l’académicien) s’absente, on viendra à s’intéresser au foisonnement naturel des végétaux (et des mots). La nature (ou la parole) en friche donne lieu à tout et à rien. En tous cas en dehors des sentiers battus : en dehors des tuteurs et des rangs d’oignons. Les friches industrielles voient l’arrivée d’une nouvelle végétation. L’herbe s’installe progressivement, et les arbres font éclater le béton. Des vers naïfs décousus naissent dans des cahiers de brouillons pendant la récréation.
Que retenir de ce qui pousse de façon sauvage ? Y poussent des fleurs, des plantes médicinales et comestibles, mais aussi des plantes invasives et vénéneuses. Des louanges, des poèmes, mais aussi des pamphlets et des mensonges. Plus intéressant : la question « que retenir » pose une deuxième question, plus essentielle, celle de l’humain parmi ce foisonnement. L’Homme est-il maître et possesseur de la nature et des concepts, ou en est-il partie intégrante ?
Le monde et les concepts appartiennent au dialecticien. Hegel englobe le monde en le subdivisant dans ses tripartitions. Comme le paysagiste de Versailles maîtrise les buissons en leur donnant la forme de concepts : des triangles, des parallélépipèdes. Pourtant l’humain et le buisson sont faits de la même pâte naturelle, issus de la même friche. L’existence humaine n’est qu’une contingence, fruit d’une évolution hasardeuse. Mais L’Homme a la chance de ne pas être qu’un buisson. Sans tomber dans l’écueil de l’expression « maître et possesseur » des plantes et des animaux donnée par Dieu lui-même au moment où il a crée l’Homme, ce dernier a néanmoins la chance et la caractéristique d’être conscient, et de se poser la question essentielle : qui suis-je, et comment placer l’Homme dans le monde. L’homme n’est pas un buisson, c’est un « roseau pensant » comme dirait Pascal.
Adopter un regard global sur la nature en friche.
Contempler le cosmos dans son entier
et constater la place absurde et minuscule de l’Homme dans ce système naturel.
Regarder dans le prolongement de ce terrain en friche en direction de la montagne,
et mesurer son corps frêle face à elle.
Regarder également la profondeur des concepts :
lege, lege, relege, ora, labora et invenies (lis, lis, relis, écoute, travaille et découvre).
Se mesurer à la montagne comme on affronte son esprit à une encyclopédie. Contempler un orage comme on lit du Victor Hugo.
Aller jusqu’au bout de la parole dans la descente du Maëlstrom d’Edgar Poe
Avoir le vertige devant un abîme ou en passant les portes de l’enfer
avec Dante et Virgile.
La parole inspirée permet de percer les « portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible ». Des portes accessibles au regard, à qui ose se mettre à l’échelle du cosmos. Qui ose regarder dans la vastitude des choses aura les yeux dessillés.
R.S
Contribution d’Antonin Boyrhev