Nemesis papers : chroniques en image des années 2040,
période de crise généralisée.
La déesse de la vengeance est associée chez les Anciens au pêché d’hybris. C’est l’orgueil de la civilisation dominante qui est la cause des catastrophes à venir, catastrophe personnifiée par la déesse antique. Les chroniques du journal sont un portrait lacunaire d’un futur apocalyptique, dessinant ainsi en creux une zone de flottement entre fiction et réalité. Ironiquement, l’avenir noir dépeint par le projet verra ressurgir les topoï des catastrophes du XXème siècle, selon le schéma philosophique du temps circulaire. Les techniques mises au point ainsi que le rapport entre texte et image se déploient dans ce cadre pour donner chair aux problématiques politiques actuelles, ceci en questionnant notre rapport à l’Histoire et en bousculant le principe d’objectivité sur l’actualité. Le ton, les techniques de montage, le contenu textuel et la manipulation de l’image, tous ces aspects relèvent de la dialectique de la propagande dont je me suis inspiré pour forcer le trait d’une prise de position sur une actualité fictive.
L’Histoire, le journal Nemesis la fait bégayer. Depuis quelques semaines je m’emploie à récolter des images d’archives à retravailler afin d’illustrer les chroniques du futur. Ma collection d’images se compose entre autres de champs de ruines, de victimes de la guerre gisants dans la rue, de colonnes de migrants. Ces images sont issues des catastrophes du XXème siècle, mais par leur détournement et leur intégration dans l’histoire des années 2040, elles contribueront à susciter un sentiment d’étrangeté, une sorte de déjà-vu qui provoque la réflexion sur la circularité de l’Histoire et la précarité de la paix sur le vieux continent. Le sublime, lié depuis toujours à la terreur, sera mis à contribution pour regarder le présent en face.
Nemesis procède à une thérapeutique du présent.
Parler du point de vue du futur, c’est faire un pas de côté et regarder le présent dans son étrangeté. En faire un diagnostic. L’oeil ne peut se regarder lui-même. C’est le miroir ou le changement de point de vue qui renseignent le réel. Prendre de l’avance sur le temps, se retourner et présenter un miroir au présent depuis l’avenir, c’est offrir aux contemporains le risque d’entrer en collision avec le miroir, et leur proposer ainsi d’essayer de freiner avant que cela n’arrive. David Takayoshi Suzuki utilise cette métaphore pertinente : nous fonçons vers un mur dans un grande voiture, et tout ce que nous faisons c’est nous disputer les places à occuper à bord. Quand bien même quelqu’un trouvait la commande de frein ou le volant, la distance de freinage serait encore à prendre en compte. Ma proposition est la suivante : que se passerait-il si nous devions percuter le mur ?
Si l’on parle rationnellement un instant, tout le monde s’accordera pour dire que la « catastrophe » se joue en fait sur la durée, et notre position est d’ailleurs d’estimer que c’est l’absence d’événement brutal, la lenteur de la dégradation de l’écosystème, du capitalisme et des droits de l’homme, qui rend la catastrophe invisible. Mais Nemesis est une matière artistique : elle rend visible l’invisible en rendant brutale une catastrophe lente. Elle s’inspire ainsi d’une notion à la mode : la « collapsologie ». La parole que je propose entre dans ce champ, mais en tant que matière artistique : la percevoir comme une fiction, une œuvre d’art, encourage à en démêler la part de vérité et la part d’exagération, ainsi qu’à s’interroger sur le point suivant :
n’est-il pas nécessaire de noircir le tableau ?