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Vaisseau

Le bateau dont les restes sont exposés ici arrive en ligne droite de l’ancien temps. « L’ancien temps » ? Quel est le sens de cette expression désuète ?

Elle rassemble un lot d’images d’Épinal (la descente en Ramasse), de symboles (le cerclage du Beaufort), de légendes (le diable de Bessans), mais aussi de styles et d’esthétiques (le sépia, la photographie ancienne, la peinture de retable).

Au cœur-même de l’expression, il y a aussi l’idée d’une époque révolue : « C’était mieux avant » pour les plus nostalgiques. Il est vrai qu’il est parfois triste de voir les anciens refuser la modernité, mais comme partout, il faut essayer de comprendre leur point de vue, et partager avec eux un regard sinon sceptique au moins dubitatif sur les relâchements de la modernité. Trouvez les tares que vous estimez être inhérentes à la modernité (que l’on rattache souvent historiquement aux débuts du développement de l’ère industrielle). Si vous les confrontez aux images nostalgiques du passé, vous trouverez la trace de plus haute attentes de l’ère contemporaine : davantage d’altruisme, de dévotion, du respect pour soi-même et pour les autres, tout un lot de belles notions surannées. La réponse du cynique contemporain est toute faite : « ces valeurs ne tiennent plus dans un monde contemporain bien plus complexe que cette image d’Épinal simpliste ».

Je propose de sortir de ce débat par la comparaison suivante, très bien sentie par le journaliste Steve Honig : la Règle d’Or de l’âge classique était : « traite les autres comme tu voudrais être traité ». La Règle d’Or d’aujourd’hui ? « Celui qui a l’or décide des règles ».

Robin Suiffet

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Pierre de cendres et d’âme.

On voulait de Pierre qu’il ait des mains de femme, la seule chose que lui voulait c’était grimper aux arbres. Il l’avait conservé comme un trésor et dans un dernier mouvement déposé ici sur ce socle. Témoin d’éternité dans la fragilité d’une vie. Ce souvenir matérialisé dans une création était venu après la fin des hommes

Alexis Gnilka

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Photo-peinture

La gomme bichromatée inscrit la perte au cœur-même du processus de développement : cette technique photographique ancienne (mise au point autour de 1850) implique l’utilisation du bichromate de potassium, qui vient d’entrer depuis peu dans la liste des produits chimiques interdits en Union Européenne.

Sur un plan moins pragmatique, le rendu diaphane de l’image est le résultat d’une trace, celle d’un négatif sur une émulsion photosensible. C’est au cœur du processus photographique, autant que dans le rendu fantomatique, que se trouve l’expression artistique de l’usure.

Une autre série d’images implique de simples impressions jet d’encre sur papier Arches ou Canson retravaillées à l’aquarelle, entre autres techniques. Entre photographie et peinture, cette pratique hybride articule ainsi deux pôles de la pratique artistique : d’une part une pratique intuitive de l’art avec l’aquarelle, symbole s’il en est un de l’expression artistique libre, d’autre part la subordination à la technologie et la reproductibilité à l’infini de l’image.

L’encre de l’image imprimée est facilement en proie à la dilution, au mélange, à l’amalgame, au chaos de la « soupe primordiale » ; le papier, lui, se métamorphose au contact de l’eau, du feu et du frottement des pinceaux ; autant d’usures qui donnent chair au vieillissement en un laps de temps très court.

Les impressions jet d’encre retravaillées à l’eau illustrent dans leur thème et leur procédé la pente glissante de la modernité : montée des eaux et rapprochement de la catastrophe écologique, avenir flou guidé par des principes dilués dans le consumérisme, en bref, accélération des flux.

Le vieillissement accéléré appliqué à une image d’aujourd’hui fait prendre au regardeur le recul des années sur un sujet qui lui est contemporain. L’image qui en résulte recoupe de près mon désir théorique de prendre de la hauteur sur ce qui s’offre à l’œil ; de mettre en regard, au quotidien, notre conscience avec l’Histoire ; enfin de remettre l’observateur à l’échelle de son environnement dans toute sa petitesse. Du haut de ces montagnes, plus de soixante millions d’années d’Histoire vous contemplent.

Robin Suiffet

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Linogravures

On trouve dans les légendes la trame de notre inconscient collectif. Celui-ci, reclus dans les bas-fonds de la pensée, alors que les générations se succèdent et se remplacent à la surface, reste inchangé au fil des époques.

La triade suivante du Tarot rassemble le Diable, la Maison-Dieu et Tempérance.

Le diable de Bessans est une figure légendaire locale. Dès lors qu’il apparaît dans un conte, il tente le héros en lui promettant d’être riche. Sa forme curviligne incarne le serpent et la tentation. Son doigt tendu pique pour trouver les points faibles. La fourche pointe dans l’autre direction, mais elle n’attend qu’un geste rapide pour embrocher le pêcheur et l’entraîner dans l’abyme.

Maison-Dieu : le ciel punit l’humanité du pêché d’orgueil (hybris, la démesure). La tour est décapitée, ses habitants se jettent par la fenêtre. La tour de Babel se fend et s’écroule.

Tempérance incarne l’alternative à la tentation et l’hybris : elle est le symbole de la mesure. Le contenant de ses deux coupes reste toujours de quantité égale, en vase clos. Elle incarne la permanence de la biosphère.

Robin Suiffet

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Le merveilleux malheur de Marble.

Claude le père de marble l’avait abandonné. Il ne se servait pas des instruments traditionnels de la peinture, il ne faisait pas de tableaux. Comme un peintre qui ne fait pas de peinture. Il n’avait pas d’autres messages à transmettre que la trace de notre passage brûlant, le signe de notre condition de comètes. Pourtant des années plus tard il l’admit comme sa création, car elle avait changé, elle n’était plus vide mais pleine de son absence. Il ne se pardonna jamais son acte et disparut dans le silence avec les autres. Et pour elle qui avait l’éternité pour y songer c’était un merveilleux malheur

Alexis Gnilka

 

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Allégorie de Marie-Louise

Marie Louise avait besoin de ses pierres pour respirer. Elle les posaient sur son ventre et sentait son sang traverser son corps dans un long silence. Elle savait qu’une éternité à paraître toujours agréable l’attendait. Paraître car elle n’était pas le sujet. Une vieille cariatide sur une console Louis XIV n’était là qu’à des fins purement esthétiques.

Le sujet, lui, était le tout dans un vide abyssal. Dans le vide apparaît la création ; ce n’est pas rien ! On se demande, nous, les créations, si le sujet fut un vide à ajouter au néant ou une place légitime à la construction de l’identité. Maintenant il ne reste que des pierres, des ruines de grandes créations et des petites aussi, à l’intérieur des grandes. Le sujet est tu. Il est silence, maintenant. Pour certains, il l’a toujours été, Claude disait « L’alphabet de la peinture n’appartient ni à la parole, ni à la pensée logique. L’art n’a besoin d’aucune question ; c’est une question qui veut demeurer telle ». Elle enviait le sujet même s’il n’était plus, car lui, était libre.

Alexis Gnilka

 

 

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